L'OUBLI DE L'OISIVETE

Publié le par veronique delbove


« Autrefois les gens étaient capables d’une gaieté et d’un esprit ludique qui ont été plus ou moins inhibés par le culte de l’efficacité. L’homme moderne pense que toute activité doit servir à autre chose, qu’aucune activité ne doit être une fin en soi. (...). L’idée que les activités désirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis à l’envers. Le boucher qui vous fournit une viande, et le boulanger, qui vous fournit en pain, sont dignes d’estime parce qu’ils gagnent de l’argent ; mais vous, quand vous savourez la nourriture qu’ils vous ont fournie, vous n’êtes que frivole, à moins que vous ne mangiez que dans l’unique but de reprendre des forces avant de vous remettre au travail.

De façon générale, on estime que gagner de l’argent , c’est bien, mais que le dépenser, c’est mal. Quelle absurdité, si l’on songe qu’il y a toujours deux parties dans une transaction : autant soutenir que les clés, c’est bien, mais les trous de serrure, non. Si la production de biens a quelque mérite, celui-ci ne saurait résider que dans l’avantage qu’il peut y avoir à les consommer. Dans notre société, l’individu travaille pour le profit, mais la finalité sociale de son travail réside dans la consommation de ce qu’il produit. C’est ce divorce entre les fins individuelles et les fins sociales de la production qui empêche les gens de penser clairement dans un monde où c’est le profit qui motive l’industrie. Nous penserons trop à la production, pas assez à la consommation. De ce fait, nous attachons trop peu d’importance au plaisir et au bonheur simple, et nous ne jugeons pas la production en fonction du plaisir qu’elle procure au consommateur ».

Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté, Editions Allia, 2004

Publié dans laphilosuitsoncours

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